MISSION - The Book of Souls [Edward de Retompre - Solas Taylor]

Cela faisait quelques temps déjà que les étranges visites nocturnes avaient été repérées par les Shadow Walkers, et pourtant aucun d'entre eux n'était parvenu à prendre la main dans le sac cet étrange individu qui se complaisait dans les activités funestes et la dégradation des sépultures qui ornaient comme des fleurs de pierre le cimetière de Shelley Street.

Or, ce soir, il était une chose que l'individu, quel qu'il fut, ne savait pas : les aristocrates de l'ombre s'étaient décidé à agir, quel que fut le risque, pour mettre fin à ses dérangeants agissements et le bannir à jamais de ce territoire qui n'était pas et ne serait jamais le sien.

Pourtant, il n'y avait dans le cimetière où était dissimulé les membres du gang aucun signe que l'individu était bien là. Les tombes couvertes de noirs symboles se dressaient avec un air inquiétant au milieu des autres,  triste rassemblement sous l'éclat de la pleine lune, dormant paisiblement sous la nappe de brouillard qui se glissait sous le couvert des arbres et entre les mausolées de pierre.

Nul n'aurait pu dire si cette nuit serait la dernière des inexplicables agissements de l'inconnu... ni même prédire l'étrange scène qui était sur le point de se jouer.

Le souffle glacé qui se glissait entre les tombeaux ne tarda pas à venir jouer entre les deux hommes, rajoutant quelques frissons à cette nuit qui promettait déjà d'être fraîche.

Une à une, les étoiles s'allumaient tel de petits feu-follets, observant de leur lueur pale le cimetière où devait se jouer une scène... Une scène qui tardait à se mettre en place. Les ombres des mausolées et autres tombeaux, doucement éclairés par la fantomatique clarté de la lune sous son voile de nuage, étaient bien les seules figures à se détacher dans la nuit de plus en plus sombre.

Si ce n'était le vent qui chantait parmi les arbres, il n'y avait rien dans ce cimetière qui eu pu sembler, de près comme de loin, au faible signe d'une quelconque trace de vie. Les Shadow Walkers prisonniers de ce lieu hors du temps commençaient sûrement à se lasser : le profanateur ne viendrait pas...

Et puis il y eu comme un soubresaut de vie dans cet étrange cimetière. Quelque chose déchirait l'infime linceul de silence qui s'était déposé sur ces lieux du dernier repos : on venait. Des crissements de graviers sous une semelle, un murmure grave, continue et intriguant, le doux frottements des tissus entre eux...

On vit bientôt apparaître dans le lointain du cimetière une faible lueur, dansante dans la nuit comme un petit esprit, suivi d'une soeur, puis une autre : et à la lumière des bougies, partiellement masquée par les tombes qui se dressaient en muets spectateurs, une large silhouette qui se croyait bien seule venait de faire son apparition.

Dans le cimetière plongé dans les ténèbres, le murmure continuait.

Qui aurait pu dire quelle scène se déroulait derrière ces tombes, qui masquaient l'acteur comme de macabres rideaux sombres ?

Dans le cimetière continuaient de ramper les murmures, s’immisçant dans les ombres et donnant à ce lieu de repos éternel une ambiance à faire frissonner le plus courageux des hommes. Dans le coin du regard, l'esprit troublé des témoins faisait danser les ombres et donnait d'étranges reflets aux visages des anges de pierre qui les regardaient... Et c'était bien là les seuls à le faire.

Personne ne s'intéressait aux Shadows Walkers, dissimulés aux regards comme ils l'étaient, pas même la personne qui, loin d'eux et loin des yeux, s'affairait. Parfois à la lueur d'une bouge, éclairant faiblement les tombes alentour, on pouvait entrevoir ce qui ressemblait à un mouvement brusque et vif, mais à part ça il aurait été bien audacieux de s'avancer à décrire ce que faisait ce visiteur nocturne... Ni même s'il était sur le point, ou non, de terminer ses ésotériques agissements.

Alors que les deux Shadow Walkers s'approchaient de l'individu qui psalmodiait, ils pouvaient se rendre compte de l'étrange et inquiétant spectacle qui se jouait devant leurs yeux.

Armé d'un pinceau et entouré d'une odeur de cuivre, un homme à forte carrure pratiquait une étrange cérémonie en peignant certaines tombes, se badigeonnant parfois les mains, continuant ses agissements sans se soucier de ce qui se passait autour de lui. Il fallut cependant que Solas prenne la parole pour que l'inconnu cessa ses gestes ésotériques pour tourner vers le membre du gang ses yeux fous. La fatigue avait ridée son visage et creusée ses orbites, mais le plus saisissant dans son apparence était la lueur de démence et qui se lisait dans les yeux sans reflets de l'individu. Il gardait cependant malgré cela une surprenante vivacité, et à peine Solas commença-t-il à s'adresser à lui que l'inconnu releva la main en criant vers le voleur, proférant d'étranges hurlements d'une voix claquante.

Alors que Solas exécutait sa révérence, l'homme jeta sur lui le seau qui trônait devant ses pieds, laissant le poisseux mélange qu'il contenait, d'un noir rougeoyant, se répandre sur le voleur dans un bruit humide : l'inconnu, quant à lui, n'en avait pas fini.

Abandonnant ses bougies et ses stèles couvertes de runes, le dément se jeta sur Solas en poussant un hurlement terrifiant, se saisissant du voleur pour le jeter contre une tombe sur le côté : puis, continuant ses cris qui semblaient autant prières que malédictions, il s'en fut sans demander son reste dans la fraicheur de la nuit et l'angoissante allée du cimetière, disparaissant parfois à la vue de ses poursuivants derrière quelques pierres tombales et autre mausolée.

L'homme continuait de courir comme un damné poursuivit par les diables, ne cherchant même pas à savoir si l'homme qui avait tenté de lui bloquer la route était toujours à sa poursuite ou non. Haletant et crachant ses poumons, il continuait entre deux toux d'hurler d'étranges paroles dont le sens échappait à tout entendeurs, mais dont la simple intonation suffisait à emplir d'une étrange inquiétude ceux qui se trouvaient non loin.

Quand le chef des Shadow Walkers lui fit face, il ne ralentit pas, ni même ne chercha à répondre aux interrogations et autre tentative de discussion que son adversaire lui offrait. D'un violent coup de pied dans le sable et les graviers, il envoya ces derniers voler vers l'homme au couteau, avant de se jeter sur lui comme un beau diable. Il s'immobilisa brutalement, collé à Edward, soufflant son haleine chaude et putride sur le visage trop proche du voleur; puis, il le poussa brutalement sur le côté et s'enfuit par la grille de sortie.

Où avait-il pu passer ? Le cimetière avait retrouvé son calme, et les alentours, plongés dans la nuit, offrait bien des cachettes à leur homme qui venait de s'enfuir...

S'était sans compter les traces de liquide qui maculait le sol et luisait sous la pâle clarté des réverbères.

L'homme saignait. Il était bien impossible de dire où il avait été blessé, ni même dans quel état il se trouvait, mais la lame d'Edward avait fait son oeuvre et tracée dans la nuit une effroyable piste sanglante qui n'attendait que les deux ombres mouvantes pour la suivre.

Et si, par le plus grand hasard, il était venu à l'esprit des deux hommes l'envie de suivre cet étrange fanatique à l'esprit plongé dans les ténèbres, peut-être les gouttes écarlates les aurait alors guidés vers une plaque d'égout, non loin de là, qui avait été soulevée et laisser éclater à la lumière des étoiles les profondeurs insalubres de la ville...

Les entrailles immondes de la ville n'était pas l'endroit le plus appréciable du monde, mais c'était en tout cas la bonne piste à suivre.

La traînée sanglante, bien que toujours marquée sur le sol insalubre des égouts, devenait de plus en plus difficile à suivre dans ces lieux humides, où des liquides divers et variés se mélangeaient en gros bouillons dans les eaux troubles de la rivière à droite du tunnel.

Il aurait été difficile de dire qui de l'odeur ou du visuel était le plus difficile à supporter, mais ce dernier ajoutait un détail macabre à la scène tout autant qu'inquiétant : les rats. Qu'ils furent dans l'eau ou sur le mince chemin bétonné, tous fuyaient avec précipitation la direction vers laquelle se dirigeaient les taches de sang. Avaient-ils été dérangés par le passage de l'homme aux tombes ?

Dans la lueur des faibles éclairages muraux, leurs corps luisants se transformait en forme grouillante et écoeurante, essayant parfois de grimper sur la jambe d'un des deux voleurs avant de se rendre compte que ce n'était guère une sortie, piétinant leurs chaussures sans même craindre le moindre retour de flamme.

Il était temps de continuer : le blessé ne s'arrêtait guère pour attendre qu'on se remis à sa poursuite dans les profondeurs d'Avalon...

Alors que les deux individus progressaient dans les égouts en compagnie des rongeurs de moins en moins nombreux, il y eu un alors un étrange bruit d'eau, plus loin dans la galerie, comme si quelque chose de lourd venait d'y tomber. Le liquide nauséabond à leurs côtés fut secoué de vagues provenant du lointain, puis le calme retomba sur l'étrange scène.

En continuant leur retour ensanglantée, le duo tomba bientôt sur ce qui avait autrefois été une salle de traitement au sol humide, dont l'horreur et l'odeur venaient de monter d'un cran.

Le sol était constitué d'une grille sous laquelle, à plusieurs mètres en dessous, on pouvait distinguer une cuve d'eau usée tournant paresseusement dans un doux vrombissement. Les lieux qui transpiraient la crasse avaient été aménagés en certains endroits, et on distinguait dans un coin une paillasse faite de cartons et quelques biens usés qui autrefois avaient formé un lit et les quelques possessions de l'homme qui vivait ici; mais ce n'était guère là que le plus inintéressant de la pièce : les murs avaient été couverts ici et là d'étranges marques semblables à celles qui peinturluraient les tombes, certaines écritures encore fraîches de plusieurs heures. Au milieu de la salle avait été aménagé une sorte de piédestal de ferraille sur lequel reposait un épais livre ouvert, dévoilant à toute la salle ses pages vierges de toute inscription.

Et sur le sol, devant l'étrange autel, tombé là et regardant le plafond d'un air absent, il y avait l'homme du cimetière. Immobile, il tenait sa main ensanglantée posée sur le poitrail, son visage souillé du sang coulant de sa bouche toujours figé dans une expression entre l'horreur et la folie. Il n'avait pas survécu à son poumon perforé, que la course-poursuite n'avait guère arrangé...

Les voleurs avaient décidés de toucher de leurs mains impies un objet à l'étrange importance et certains de ses secrets se révélaient soudainement à eux.

En tournant les pages de l'ouvrage, Solas avait l'impression de pénétrer dans un temple antiques, oublié et méritant pourtant un infini respect. Les autres pages de l'immense livre n'étaient pas dépourvues de toute écriture comme celles qu'ils avaient initialement vu. Couvertes d'écritures noires, inscrite dans un étrange alphabet dont les lettres semblaient parfois danser dans le coin du regard, elles étaient également agrémentées de curieux schémas archaïques représentant des lieux, des êtres et d'autres singulières créatures. Les pages blanches, disposées au milieu des autres, était l'anomalie principale de cet ouvrage étrangement sec et en bon état pour un livre à l'apparence si ancienne, conservé dans un égout à quelques mètres seulement d'une cuve d'eau insalubre.

Si Solas s'était concentré, dans ce lieu insolite qui ne s'y prêtait guère, peut-être aurait-il ressenti un léger bourdonnement sous ses doigts qui frôlaient l'antique objet, à moins que cela ne fut le fruit de son imagination alors que son esprit ne pouvait que se sentir agréablement attiré par les mystères de cette oeuvre inconnue.

Autour des deux voleurs, les mouches commençaient à s'amasser, attirées par l'odeur d'infection, de pus, de sang et de crasse qui émanait du corps à leur côté. Bientôt viendrait l'odeur de la mort, et bien d'autres immondices encore.

Alors qu'Edward s'emparait du recueil, ôté des mains de Solas, il ne pouvait que sentir un étrange malaise s'emparer de lui, comme s'il venait de se rendre compte qu'une personne s'était tenue dans son dos depuis plusieurs minutes : il n'en était rien, bien sûr, si ce n'était peut-être un tour que son imagination lui jouait.

Une vague de mécontentement avait déferlée sur Solas sans qu'il puisse vraiment indiquer d'où cela pouvait provenir...

Qu'importe : les Shadows Walkers s'étaient rendus cette nuit coupables de meurtre autant que de vol, et désormais ils leur incomberaient la tâche de veiller autant que d'étudier cet ouvrage qu'ils venaient d'acquérir. Bientôt, la chambre désormais funéraire ne sembla plus d'un grand attrait, empli d'une désagréable odeur et d'une impression mauvaise et inquiétante : que les voleurs rentrent donc chez eux.

Ils venaient sans le savoir d'attirer sur eux l'attention de choses et d'autres, que le monde n'avait plus connu et pourtant jamais vraiment oublié : les deux humains se souviendraient bientôt de pourquoi ils avaient autrefois peur du noir.

Fin de la Mission...