☆ Boogie Wonderland ★

Peu importe où vous le mettez, que ce soit dans les rues des quartiers mal famés ou dans une des artères principales des résidences de riches, Sweet B semblera toujours hors propos. Avec son look bariolé, qui n'est pas sans évoquer la mode révolue des années 80/90, notre homme attire le regard. A moins que ce ne soit principalement dû à sa carrure. Après tout, il avoisine les deux mètres de haut, pour près de cent kilos de muscles. Un sacré bestiau, qui néanmoins se déplace avec une grâce et une prestance remarquable. Son déhanché est même assez célèbre au sein des Dins Waves, et nombre de demoiselles et de damoiseaux n'ont qu'un seul rêve : partager une danse avec lui.

Avec son sourire doux et son regard charmeur, le jeune homme ne laisse clairement pas insensible. Ses traits fins mêlés à la puissance de sa stature lui confèrent un air enfantin et nounours, en accord parfait avec son caractère bienveillant. Ses hautes pommettes sont généralement ponctuées d'une touche de maquillage, parfois violettes, parfois bleues, elles seront toujours assorties à sa tenue, mais également de sorte à mettre en avant ses yeux vert émeraude. Cette paire de pierres précieuses étincelle de gentillesse et de bonne humeur, communicant sa joie naturelle à ceux qui y perdent leur regard.

Une tignasse blonde surplombe ce visage sympathique, retenue vers le haut par un bandeau coloré. Quelques accessoires viennent souvent orner ses tempes, comme par exemple une plume, une paire de dès, une fleur factice. Cela dépendra autant de sa tenue que de son humeur. Il semble d'ailleurs assez friand de ce genre de détails, et chaque jour, il y aura toujours un petit élément qui aura été remplacé ou changé de place, un peu comme un jeu des sept erreurs. Il trouve d'ailleurs cela très amusant quand quelqu'un lui fait remarquer qu'il lui manque tel anneau ou tel bracelet, la curiosité et le sens du détail de certaines personnes n'a de cesse de l'étonner. La meilleure à ce jeu est, selon lui, Sugar, la patronne de la boîte où il travaille. Cette dernière lui reproche d'ailleurs très souvent son style vestimentaire, on ne peut plus daté.

Veste en jean ou en skaï, ouverte sur une t-shirt uni ou un haut moulant qui suit le tracé de ses pecs et de ses abdos. Pantalon cargo. Bottines lustrées ou à semelle épaisse. Il semble avoir récupéré les vêtements d'un loubard des années 80, via une machine temporelle secrète ! Mais non. Ce sont bien des fringues produites à notre époque, aussi surprenant que cela puisse être. On aime ou on aime pas, Bub' s'y sent à l'aise et cela lui donne un certain charme, celui de la nostalgie.

Parfois, la personnalité de quelqu'un se devine en un simple coup d'oeil. Pour Bub', c'est un peu comme si elle était inscrite sur une pancarte néon clignotante au dessus de sa tête : c'est un gentil garçon. Très gentil. Trop. Bien sûr. Évidemment. Avec sa bouille niaise et son grand sourire franc, comment pourrait-il en être autrement ? Dans sa tête, il est un peu le héros de sa propre histoire, et il est un chevalier blanc, là pour défendre la veuve et l'orphelin, et ce en leur offrant le doux tempo de la musique libératrice. C'est le seul but qu'il affiche ouvertement, son unique raison d'enflammer les pistes de la boîte de nuit chaque fois que la lune se lève. Et il adore ça. Il aime voir les gens danser, se défaire de leur morosité, lever les mains au ciel et enfin se laisser aller. Leur bonheur participe au sien, purement et simplement.

La naïveté est, sans surprise, son principal défaut. Sa candeur lui a déjà attiré quelques ennuis par le passé, et même s'il a bien envie d'apprendre de ses erreurs, il finit irrémédiablement par retomber dans ses travers. Peu importe la personne lui demandant son aide, à moins qu'elle ait vraiment un air très, mais alors TRÈS, TRÈS louche, Bub' ne va pas hésiter deux secondes et lui tendre la main. Pigeon rêvé des arnaqueurs, benêt distrait favori des pickpockets, ses amis ont fini par presque lui interdire de se promener avec des objets de valeur.

En revanche, ne vous avisez pas à essayer de le berner plusieurs fois, car après tout, on peut tromper une fois mille personnes, mais on ne peut pas tromper mille fois une personne. Eh oui, comme pour compenser sa crédulité, la Nature l'a doté d'une bonne mémoire, aussi bien visuelle qu'auditive. Reconnaître un visage grimé ou une voix légèrement étouffée n'est guère compliqué, et il n'hésitera pas alors à sévir si jamais la personne lui a déjà commis du tort par le passé. Et c'est dans ces moments là que sa puissante carrure entre en jeu. Il s'en sert principalement pour intimider, au fond il n'apprécie guère user de la violence, mais cela ne l'empêche pas de savoir se défendre. Il évite soigneusement de blesser trop gravement ses adversaires, cherchant alors davantage à les mettre hors d'état de nuire le plus rapidement possible.

Malgré sa bonhomie et sa gentillesse, Sweet B ne se considère vraiment proche que de rares personnes. Sa patronne, quelques collègues ou membres des Dins Waves... Ils ne sont pas nombreux à pouvoir se vanter d'avoir gagné la loyauté du géant blond, et pour eux, le jeune homme pourrait presque tout sacrifier. Il ne le leur montre pas spécialement en temps normal, ou plutôt, ce sont ses difficultés à l'exprimer qui le grillent. Balbutiements, regard fuyant, les vraies amitiés ne le mettent pas à l'aise, mais elles lui sont extrêmement chères.

En résumé, un garçon coloré et au grand cœur, un peu simplet sur les bords, mais à ne pas sous-estimer.

Une profonde inspiration. Le sérieux s'est installé dans son regard. Une étincelle de stress, celle qui rend ses mains moites et qui fait tambouriner son coeur. Il regarde la platine derrière laquelle son mentor se trémousse, malgré son âge avancé et son embonpoint. Demain, il allait encore se plaindre de son arthrite. Mais avant cela, son apprenti allait devoir se jeter à l'eau, sans bouée ni gilet de sauvetage. La musique emplissait la pièce que les projecteurs balayaient en rythme. Sous leur lumière, une masse de corps humains se déchaînait, leurs mouvements parfois saccadés par l'éclairage des stroboscopes. C'était un spectacle à la fois fascinant et effrayant. Cette foule allait décider de son sort. Soit il resterait l'homme à tout faire de la boîte, soit il aurait l'honneur de prendre le titre de DJ. Il ferma les yeux. Dans sa tête, il se remémora tout ce qu'il avait prévu de jouer ce soir. Des titres originaux, des mélanges de vieux titres du passé avec le style plus brut et electro de leur époque. Ils allaient le lyncher. L'insulter. Le renvoyé de là où il venait.

Tournant la tête, il croisa le regard perçant de la patronne de l'établissement. Elle qui était si dure d'ordinaire, l'encouragea pourtant d'un petit hochement de tête. Il sourit. Elle lui en avait fait baver depuis son arrivée au Century.


Il avait quatorze ans la première fois qu'il s'était faufilé ici, suivant un groupe de jeunes avec lequel il aimait traîner. Il était alors le petit richou de la bande, bien propret sur lui et puant le luxe à plein nez. En même temps, sa famille vivait à Fontaine-Exupéry. Cela aurait pu lui causer du tort, mais les gars qui l'avaient pris dans leur bande avaient eu assez de jugeote pour comprendre que le petit Leo' pouvait être un portefeuille à pattes. Enfin, au début ils le considéraient ainsi, mais leur mentalité évolua à force de le côtoyer. Toujours est-il que ce fameux soir, ils auraient pu se faire expulser du Century. Leurs fausses cartes d'identité n'avaient pas réussi à duper le vigile de l'époque, et même si deux d'entre eux allaient bientôt sur leur majorité, cela ne suffisait pas. Ils auraient pu faire des pieds et des mains, taper un scandale, juste pour la forme, mais une voix féminine les cloua tous sur place, l'adulte comme les mômes.

« Ils sont avec moi. »

La ravissante femme croisa les bras sur sa poitrine, et derrière ses petites lunettes rondes aux verres teintés, elle observa un à un les jeunots qui la regardaient curieusement en retour. Après leur avoir intimé l'ordre de la suivre à l'intérieur, elle les emmena dans un petit carré, étrangement vide à cette heure de la nuit, et alors qu'elle aurait pu leur faire la leçon, elle prit le temps de les connaître et leur offrit même un soda. Le blondinet tenta vainement de mentir sur ses origines, mais elle n'était pas dupe. Il bredouilla timidement son quartier d'origine avant de laisser son regard se perdre sur les gens. C'était à cet instant précis que son cœur se prit d'affection pour cette ambiance, mais ça il ne le comprendrait que bien plus tard.

Par la suite, ils revinrent de temps en temps, et la patronne, Sugar, était à chaque fois là pour les accueillir et les écouter.


Elle avait été là quand, à dix-sept ans, il en avait eu assez de sa vie au sein d'une famille factice et cruelle. Elle l'avait recueilli quand il avait pris la décision de fuguer définitivement de chez lui, n'emportant avec lui qu'un vieux walkman empli de chansons anciennes et un ordinateur portable sur lequel il commençait déjà à essayer de composer. Elle lui avait offert le gîte et le couvert, mais surtout un emploi. Et aujourd'hui, elle lui offrait sa chance en tant que DJ.

Mais Sugar n'avait pas été la seule à croire en lui. Bub' savait qu'il n'aurait rien pu faire sans son mentor, Senior. C'était le surnom que le vieil homme avait pris quand, pendant l'année de la création des Dins Waves, Sugar et son équipe avaient choisi de les rejoindre. Cela avait permis à la boîte de se tenir à flot, malgré les contrôles plus fréquents de la police. Senior était alors tombé par hasard sur une clé USB qui traînait, et elle contenait quelques remix que Sweet B avait tenté. Des trucs assez osés, mais qui manquaient tous d'un petit quelque chose. Il le prit alors sous sa supervision et, en parallèle, lui apprit à mieux gérer ses sons, ses drops, bref, tout un tas de petites astuces de sorte à mieux dompter l'art du mixage.

C'était d'ailleurs lui qui chauffait la salle juste avant son arrivée. Faire mieux allait se révéler trop compliqué, mais au moins l'égaler... C'était ce que SB visait comme objectif ce jour-là. Et ça allait être à lui.

Il brancha son ordinateur à la table de mixage, inspira à nouveau. Ses yeux vert se perdirent sur les gens qui se déhanchaient encore sous la musique de Senior. Il serra le poing, chassant au loin les tremblements qui voulaient se répandre dans son corps. Allez. Il était temps de se lancer. Les premières notes montèrent.


Étonnement, les gens apprécièrent son style décalé, ses reprises de vieilles voir très vieilles chansons. Il fut donc officiellement nommé DJ du Century, et par extension, reconnu en tant que tel au sein du gang. Malgré sa popularité croissante, il n'en reste pas moins très simple et, aujourd'hui encore, il continue à vivre dans une ancien bureau de la boîte, à l'étage de celle-ci, passant son temps libre à composer ou a traîner joyeusement en ville avec quelques amis.